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Texte lu le 14 juin Place de la République

dim, 06/15/2014 - 13:27 -- Bérénice Riaux

Soyez les bienvenus à la Marche pour la fermeture des abattoirs – terrestres ou flottants.

Cette marche a lieu pour la troisième année consécutive. Elle et se déroule à la fois en France, au Canada, aux États-Unis, en Turquie, en Allemagne, en Suisse, et en Australie.

Chaque jour, davantage de personnes sont prêtes à entendre la revendication portée par cette manifestation.
Les abattoirs et bateaux de pêche sont des usines à tuer.
Sur les mers, à la périphérie des villes, ces usines fauchent chaque jour des millions de vies.
Un jour, bientôt, le massacre va cesser.
Dès à présent, bien peu de gens aiment penser à ces lieux de terreur et de douleur.

Dans les têtes, dans les cœurs, les abattoirs sont déjà fermés.

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Écoutez plutôt le début de ce conte.

Nathan et Lucie sont deux enfants nouveau-nés. Arrive une fée qui se penche sur leurs berceaux et qui dit :

« Toi Lucie, quand tu seras grande, ton travail consistera à extraire de jeunes poulets des caisses où on les a entassés.
Puis, tu les suspendras par les pattes, tête en bas.
Jour après jour, année après année, tu verras des oiseaux battre désespérément des ailes, tandis que la chaîne les tractera vers la lame qui va leur trancher le cou.
Et au soir de ta vie, tu pourras penser : "J’ai été les bras qui répandent la peur et la mort. J’ai été un rouage du système qui fait naître des animaux dans le but de les tuer. Voilà ce que j’ai apporté dans le monde." »

La fée dit encore :

« Toi Nathan, quand tu seras grand, ton travail sera d’attendre que des poissons suffocants soient déversés sur le pont d’un bateau. Ensuite, avec un couteau, tu leur ouvriras le ventre et tu leur arracheras les viscères pendant qu’ils se débattent en vain.
Et au soir de ta vie tu pourras penser : "J’ai été les mains qui étripent des êtres vivants et conscients. J’ai été un rouage du système qui a fait de la mer un piège mortel pour les animaux qui l’habitent. Voilà ce que j’ai apporté dans le monde." »

Chacun devine la suite de ce conte, n’est-ce pas ?
Les parents de Nathan et Lucie sont fous de rage bien sûr. Ils chassent la fée à coups de pied au cul en hurlant que c’est une sorcière.

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Quelques années plus tard, c’est Madame Beulet, l’institutrice de Nathan et Lucie, qui a failli connaître le même sort que la fée.
Un jour, les enfants rentrent à la maison et annoncent qu’il y va y avoir trois sorties scolaires dans l’année pour voir des bébés animaux.
Les parents sont ravis.
Puis, ils regardent le programme avant de signer l’autorisation, et ils se fâchent tout rouge.
Il y a écrit :

« Jeudi 3 octobre. "Rencontre avec des poussins" au couvoir Le Grelot.
Les enfants pourront voir des poussins destinés à devenir poules pondeuses à peine sortis de l’œuf.
Ils regarderont les employés séparer les mâles des femelles et verront comment les mâles sont jetés dans la broyeuse qui va les déchiqueter.
Ils pourront ensuite dessiner la scène grâce aux crayons de couleur rouge et jaune mis à leur disposition. »

« Jeudi 6 mars. Sortie « copains comme cochons » à l’élevage Troudennec.
Les enfants assisteront à la castration d’adorables porcelets âgés de quelques jours à peine.
Ils verront les employés saisir les petits cochons par les pattes arrière et les tenir bien coincés entre leurs genoux.
On leur montrera comment tirer sur les testicules une fois l’incision faite, et comment couper le cordon.
Les enfants porteront des casques anti-bruit, comme les adultes, pour ne pas être dérangés par les hurlements des porcelets. »

« Jeudi 17 avril. Sortie de Pâques à l’entreprise Moreau.
Chaque enfant pourra se faire photographier à côté d’un joli petit agneau de l’aire de parcage.
Ensuite, il le suivra jusqu’au poste d’abattage et verra comment il est saigné, dépecé et découpé.
Une photo souvenir et une touffe de laine de son petit compagnon d’un jour lui seront remis à la sortie. »

Madame Beulet, l’institutrice, s’était donné beaucoup de mal pour préparer ces sorties. Pourtant, ça bien failli lui coûter sa place à cause de la masse de courriers de parents indignés qui ont afflué au rectorat.

Tous ces parents savaient – au fond – que les usines à tuer, et les usines d’élevage qui les pourvoient en victimes, offrent le spectacle d’une froide violence.
Presque tous savaient – au fond – qu’à moins de mentir, il n’auraient pas pu expliquer aux enfants que cette violence était juste, ou nécessaire, ou inévitable.
Ils ne voulaient pas que leurs enfants voient la brutalité des élevages et des abattoirs.
Eux-mêmes ne supportaient pas qu’on la leur rappelle.

Dans leurs cœurs, les abattoirs étaient déjà fermés.

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Nous sommes à un tournant de l’histoire.

Après des millénaires de tuerie, pour la première fois, l’idée pénètre dans la société que le massacre des animaux ne va pas de soi, et qu’il pourrait prendre fin.
Comment expliquer sinon les réactions démesurées qu’a suscitées dernièrement une retouche apportée au Code civil français ?

Voici les faits.
Le 15 avril 2014, les députés ont adopté un amendement modifiant quelque peu un passage du Code civil relatif aux animaux. Un changement si modeste que certains soupçonnent ses promoteurs de l’avoir proposé pour éviter une réforme plus ambitieuse.

De quoi s’agit-il ? D’inscrire dans un article du Code civil que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ».
C’est tout.
C’est vraiment tout.
L’article en question s’empresse aussitôt de préciser que les animaux restent des biens, des propriétés.
On peut faire ce qu’on veut de ses biens. Notamment, bien entendu, les envoyer à l’abattoir.

Et pourtant, les quelques mots ajoutés ou modifiés dans la loi ont provoqué un émoi considérable.

En amont, le Président de la République lui-même a exprimé son opposition à une telle réforme.
Pendant le débat à l’Assemblée, on a entendu des parlementaires s’exprimer comme si les partisans de la fermeture des abattoirs venaient de prendre le pouvoir.
Ainsi, Philippe Gosselin, député de la Manche, s’est exclamé, je cite :
« Demain, c'est l'agriculture qui sera menacée, la louveterie, la chasse à courre voire la chasse tout court !! Et que dire des conséquences éventuelles pour les agriculteurs, les laboratoires, les abattoirs ...?! »

La réformette a provoqué un tollé du côté des industries d’exploitation animale.

Dès le 16 avril, Xavier Beulin, président de la FNSEA, écrit à François Hollande pour lui faire part de son inquiétude et de sa stupéfaction.
Sa lettre contient textuellement cette phrase : « Il s’agit d’une évolution juridique qui risque de remettre en cause la pratique même de l’élevage. »
Dans les jours qui suivent, les propos dénonçant une remise en cause de l’élevage, donc de l’abattage, deviennent un leitmotiv de la presse agricole.
Le président d’une Fédération de chasse qualifie pour sa part la réforme « d’œuvre dévastatrice »…

Sont-ils tous devenus fous ?
En réalité, la réforme ne compromet en rien leurs affaires ou leurs loisirs.

Mais l’inquiétude des intéressés n’est qu’à demi feinte.
Ce qu’ils sentent, c’est qu’aujourd’hui, dans la société, la pratique de la chasse, de la pêche, de l’élevage, de l’abattage, ont cessé d’être des évidences non questionnées.
Dans ce contexte, le simple fait d’inscrire dans la loi que les êtres qui en font les frais sont vivants et sensibles fragilise un peu ces activités.
Car quelle légitimité morale a une loi qui dit : vous pouvez acheter, vendre, mutiler, emprisonner, tuer… des êtres vivants et sensibles ?

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Nous sommes à un tournant de l’histoire.

En 1839, à propos de l’esclavage, Tocqueville écrivait :

« L’esclavage est une de ces institutions qui durent mille ans si personne ne s’avise de demander pourquoi elle existe, mais qu’il est presque impossible de maintenir le jour où cette demande est faite. »

Il avait raison. Quelques décennies plus tard, l’esclavage était aboli.
Aujourd’hui, nous en sommes à demander pourquoi les abattoirs existent. Comme pour l’esclavage, bientôt, il deviendra impossible de les maintenir en activité.

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Dans les cœurs, les abattoirs sont déjà fermés.

Mais c’est pour l’heure une abolition virtuelle, qui consiste à éviter de penser qu’ils tournent à plein, et à s’offusquer qu’on nous le rappelle.
Ce n’est pas cela qui sauvera l’agneau, le lapin ou le veau qui vont se faire égorger.
Pour eux, ayons le courage de mettre fin à l’horreur au lieu de détourner les yeux.

Parce que les animaux sont des êtres vivants et sensibles, fermons les abattoirs pour de bon !